Ce texte a été rédigé par des militants du SNUipp-FSU de Vitry-Chevilly

« Accompagner au mieux les élèves » : tel est le titre de la page dédiée sur le site Eduscol pour « aider » les enseignant.es, suite aux annonces du déconfinement et de la réouverture progressive des écoles. Titre prometteur, n’est-ce pas ?

[violet]Sauf qu’à la lecture des fiches[/violet], il semblerait que l’évaluation et la délation soient devenues les 2 mamelles de l’Ecole telle que l’entrevoit notre gouvernement.

Alors que l’on aurait pu attendre des textes, des circulaires, des pistes pour nous aiguiller, nous rassurer, nous outiller pour une reprise un peu plus sereine, le ministère nous ressasse ses vieilles obsessions… Après quelques lignes emplies de bienveillance (quand même un peu, il faut bien se donner bonne conscience), où il est question de prendre en compte la parole et les émotions de l’enfant ainsi que la particularité de la situation, on nous propose très vite tout un tas d’évaluations ! A faire dès la première semaine ! Cela va de soi : la première des préoccupations que nous aurons une fois que nous retrouverons nos élèves, ce sera bien évidemment de nous empresser de les évaluer, n’est-ce pas ?

[violet]Des évaluations, encore et toujours.[/violet] Des évaluations en veux tu en voilà. Il eût mieux valu donner du temps aux équipes pour pouvoir réfléchir aux adaptations qui seront cruciales l’année prochaine pour tenter de réparer les dégâts du confinement. Ce sera difficile tant les énergies seront focalisées sur les conditions de cette reprise mal ficelée !

[violet]On assiste donc une fois encore au "retour des fondamentaux",[/violet] si chers à notre ministre. Maths, français et sport. Basta. Comme si le confinement avait effacé les arts, la découverte du monde, l’EMC. Fini les apprentissages transversaux, foin de l’épanouissement des individus, de la prise en compte du rythme des enfants. Les fondamentaux on vous dit !

[violet]Deuxième point préoccupant :[/violet] des injonctions nous invitant à relever des propos qui seraient "dérangeants" (mais dérangeants pour qui ? là est bien la question...) et à convoquer illico les parents et à signaler aux autorités sans tarder.

Il nous faudra donc être extrêmement vigilants. Attention ! Danger extrême pour la « Nation Apprenante » ! Certains enfants pourraient être devenus de véritables petits sauvageons durant ce confinement et avoir développé des discours anti-républicains mettant en doute la gestion du gouvernement dans la crise sanitaire du Covid.

Voici la prose que l’on peut lire dans ces documents dont une partie a depuis été réécrite devant la polémique suscitée :

[violet]Extrait de "Coronavirus et risque de repli communautaire" :[/violet] « La crise du Covid-19 peut être utilisée par certains pour démontrer l’incapacité des Etats à protéger la population et tenter de déstabiliser les individus fragilisés. Divers groupes radicaux exploitent cette situation dramatique dans le but de rallier à leur cause de nouveaux membres et de troubler l’ordre public. Leur projet politique peut être anti-démocratique et antirépublicain. Ces contre-projets de société peuvent être communautaires, autoritaires et inégalitaires ».

[violet]Extrait de la fiche consacrée à l’accueil en élémentaire :[/violet] « Des enfants peuvent tenir des propos manifestement inacceptables », sans plus de précisions. On nous dit ensuite que « la référence à l’autorité de l’Etat pour permettre la protection de chaque citoyen doit alors être évoquée, sans entrer en discussion polémique ».

[violet]Le texte mélange dans un grand sac[/violet] des préoccupations légitimes (phénomènes sectaires, endoctrinement religieux, complotisme) et des concepts flous comme celui de « repli communautaire » qui dans le débat médiatique peut légitimer beaucoup d’amalgame. D’ailleurs, le texte laisse entendre que contester la gestion de la crise par le gouvernement serait une dérive. Terrain très glissant...

Ces injonctions sont socialement discriminatoires quand on sait le creusement des difficultés et le sentiment d’abandon dans certains foyers. Quelle infamie rendez-vous compte ! Ces petites gens qui se permettraient de ne plus avoir une once de confiance en ce gouvernement qui a menti, qui n’a pas su pallier la pénurie de matériel, qui n’a pas su protéger la perte dans certaines familles de l’un des leurs. Vite, empressons-nous de les dénoncer ! Telle est l’urgence.

[violet]Tout aussi dérangeant[/violet] en tant que fonctionnaire, c’est qu’on nous renvoie longuement à notre devoir de signaler tout comportement déviant avant de nous proposer des activités pédagogiques pour prévenir le mal. On ne nous appelle même pas à débattre avec les enfants : non, on nous invite à recueillir leurs émotions (sans appui psychologique car les RASED sont réduits à néant dans la plupart de nos écoles) mais quand il s’agit d’entendre les "propos inacceptables" alors on dit une formule magique et on signale ! Rien à voir avec l’EMC et le débat, développer l’esprit critique au travers de la confrontation entre les croyances et les sciences pourtant indispensables à la formation des futurs citoyens. De plus ces fiches introduisent une méfiance incroyable envers les enseignant.es.

Ne retissons pas du lien. Ne pansons ni les cœurs émiettés ni les esprits fragilisés. Ne cherchons pas à réduire les inégalités creusées et dévoilées par ce confinement. Non, la priorité est de dénoncer. Fliquer, évaluer et dénoncer. Insupportable. Notre métier est en souffrance souffre de lire toutes ces aberrations et ces inepties.

Alors chers collègues, à nous de faire en sorte que ce ne soit que la vision de notre sinistre Blanquer et que nous ne foncions pas tête baissée en suivant à la lettre les recommandations du site Eduscol sans prendre un minimum de recul.

[violet]Certes, les enseignants sont des fonctionnaires d’état,[/violet] donc garants des valeurs républicaines et sont astreints dans l’exercice de leur fonction à un devoir de neutralité. Mais ils n’ont certainement pas à être transformés en rouage de propagande gouvernementale, relais des obsessions droitières de nos gouvernants du moment. L’école républicaine, c’est aussi la formation du citoyen, et donc une éducation à l’esprit critique dans laquelle le questionnement fondé sur la rationalité et la recherche des faits doit être encouragé. Tout le contraire d’une école uniquement réduite à l’enseignement des fondamentaux.

[rouge]Notre métier est plus beau et noble que ce à quoi ils veulent le réduire.[/rouge]

[violet]Heureusement, ce dérapage n’est pas passé inaperçu.[/violet] Les réseaux sociaux ont très vite donné l’alerte, et les réactions indignées se sont multipliées. Assez rapidement, la presse s’en fait le relai. Sans un bruit, la fiche polémique est retirée et réécrite de façon beaucoup moins polémique. Mais cela doit nous alerter !

[rouge]Notre métier est plus beau et noble que ce à quoi ils veulent le réduire.[/rouge]

[rouge]Restons vigilants. Résistons ![/rouge]

«Réouverture des écoles : comment accompagner au mieux les élèves ? » : retour sur une polémique.